« L’impression offset - à plat ou sur rotatives - multiplie aujourd’hui les performances. Rapide, sophistiquée, automatisée, elle vise plus à produire qu’à reproduire. Le temps du pressage à la feuille est révolu. »
Alain Gilbert, M&G Editions
Difficile, voire impossible, pour un éditeur de mettre ses pas dans ceux de Louis Dupasquier s’il veut rééditer sa monographie. D’inévitables embûches se dressent aussitôt sur son chemin : format trop grand, poids dissuasif, papier très onéreux, reliure quasi impossible… Pareil spécimen n’est plus de notre temps et nous ne sommes plus du sien.
La monographie, chef-d’œuvre du XIXe, est rétive à l’industrie high-tech du XXIe. Seul l’artisanat, d’art s’entend, pourra les reproduire à l’identique ou presque.
À ces contraintes de forme s’ajoutent d’intéressantes contrariétés de fond. Imiter l’œuvre de Louis Dupasquier s’avère une ambition redoutablement complexe. Saisir l’infinie finesse du dessin et des nuances exige une numérisation de très haute définition. Faire preuve de fidélité face aux somptueuses couleurs doit être le fruit d’une longue patience pour régler les encres. Ne parlons pas de la précision du rendu ni de son paroxysme, aujourd’hui passé de mode, la minutie qui suppose qu’on ne quitte jamais son ouvrage des yeux.
En fait, tout est question de temps et d’argent, deux exigences incompatibles avec la démarche de qui veut produire et non reproduire. Une nouvelle fois, se pose le dilemme : quantité ou qualité ? La force de nos machines nous assure la suprématie du nombre. La faiblesse de nos technologies est de nous faire croire à l’infaillibilité. Louis Dupasquier avait tranché : la qualité, quitte à y laisser sa chemise. Un vrai réflexe d’éditeur !
Imiter Dupasquier, quel calvaire ! Et combien de stations pour ce chemin de croix vers la perfection !
D’abord, recourir à un scanner très grand format – ils sont rares – ou à un appareil photo numérique à dos – ils sont hors de prix.
Ensuite, stocker les fichiers images sur des disques de sauvegarde, boulimiques en millions de pixels, et travailler sur des écrans à très haute définition.
Calibrer sa chaîne couleur, du scanner à la presse, sans se faire trop d’illusions.
Dénicher un vendeur de papier qui connaît tous les secrets du vélin d’arches.
Trouver une presse qui garde la nostalgie des grands formats.
Doser pendant des heures les encriers pour approcher des tons dont la justesse de reproduction tiendra du miracle.
Persuader un relieur de sortir de ses cadres.
Convaincre un librairie d’agrandir ses rayons.
Et enfin, enfin, s’assurer qu’un lecteur est prêt à dépenser une fortune pour contempler ce qu’on lui vante comme étant l’aboutissement de la perfection numérique. La réédition de la monographie est à ce prix, à moins qu’en chemin, l’éditeur n’ait rendu l’esprit.
Il faut bien se l’avouer : la copie ne dépassera jamais l’original, elle qui a déjà bien du mal à s’en approcher.
Alain Gilbert, M&G Editions