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L'archéologie pessinoise

« J'ai passé toute ma vie à ajuster la réalité à mes songes, mais quelquefois je confonds la réalité avec la réalité. »
« Je ne suis bien qu'ailleurs… »

Marc Pessin

« De ce mystère, de ce merveilleux en perpétuel mouvement, Marc Pessin en est l'organisateur. »

Charles Dobzynski

« Marc Pessin archéologue de soi-même. »
« Marcel Duchamp, je crois, n'aurait pas renié un tel disciple. »

Bernard Chouvier

Est-ce le désir de lutter contre l'oubli, la sensation aigüe de l'éphémère qui ont poussé Marc Pessin au-delà de sa haute exigence en tant qu'artiste, à devenir l'archiviste, l'archéologue des créations de son imaginaire étonnant ?

Jean-Louis Roux (Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, 10 avril 2009)

"Peut-on concevoir Pessin sans Pessinois ? Le facétieux artiste de Saint-Laurent-du-Pont a marqué les esprits, avec la divulgation tous azimuts des traces archéologiques fictives d'une civilisation prétendument disparue (…). Manuscrits, tessons, monnaies, herbiers, mais encore études philologiques et entomologiques : il n'a rien négligé pour nous en faire accroire. Et nous nous laissons délicieusement emporter par cette fiction dont nous ne sommes point tout à fait dupes, mais qui ouvre sous nos pas des gouffres vertigineux…"

Introduction à l'archéologie pessinoise par Jean-Pierre Chambon (extraits)

Il y a bien longtemps, s'est épanouie dans les montagnes du massif de la Chartreuse l'étrange et merveilleuse civilisation des Pessinois. Les traces qu'on a retrouvées de sa splendeur permettent de situer son apparition et sa persistance entre le troisième millénaire avant notre ère et le XIIIe siècle après Jésus-Christ. Des vestiges de cette culture ont été recensés dans des aires géographiques fort éloignées et apparemment sans liens. Les précieux objets qu'on a exhumés ainsi que les lointains échos de relations enthousiastes rapportés dans des annales laissent deviner des cérémonies fastueuses, des rites aux pompes extravagantes, tout un lustre demeuré longtemps d'une parfaite discrétion. Jusqu'à ce qu'une heureuse circonstance conduise Marc Pessin à acquérir le terrain de la colline des Charbinières sur les hauteurs de Saint-Laurent-du-Pont, pour y faire construire son atelier et sa demeure.
Les travaux de terrassement ont mis à jour une stupéfiante nécropole. Entre des reliquats de fortifications tracées selon des séries de parallèles sinusoïdales étaient alignées, en faisceaux suivant les courbes de niveau du terrain, des sépultures regorgeant de fabuleux trésors. Il y avait là maintes amulettes et statuettes talismaniques, quantité de bijoux et ornements de compositions inédites, des monnaies et médailles frappées d'aimables effigies, de fort curieux fossiles de plantes et d'animaux d'espèces inconnues, et surtout des tablettes et des rouleaux de céramique couverts d'inscriptions cabalistiques voir un exemple. La même écriture courait sur les ossements des défunts dont certains étaient greffés à des parures.
Avec ces reliques la civilisation pessinoise était née.
Marc Pessin a naturellement donné son nom à la découverte de ce peuple ignoré, puisqu'il en est l'inventeur, et l'on se souvient qu'une invention est étymologiquement une trouvaille – et désigne même "une trouvaille merveilleuse" – et qu'on parle en termes de droit, d'invention d'un trésor voir un exemple. Dès lors, il a consacré une grande partie de son énergie à faire exister et prospérer sa fabuleuse invention "Je vis dans deux réalités, c'est pourquoi je confonds toujours la réalité avec la réalité" confesse-t il.
Des investigations menées dans toute la Chartreuse ont conduit à la reconnaissance de traces pessinoises en des lieux inattendus : dans les gorges de Saint-Étienne-de-Crossey, dans les tourbières de Saint-Joseph-de-Rivière. Des glyphes de l'écriture dauphinoise, à demi effacés ont été repérés sur des pierres extraites de l'ancien château de Saint-Laurent-du-Pont. Il est même permis de supposer que la chapelle Saint Bruno initialement dédiée à la Vierge, fut érigée à l'emplacement d'un culte rendu à une reine pessinoise. La configuration d'une rainure évoque en effet le sceau de la reine Zelliah, une souveraine particulièrement adulée des Pessinois.
Si Marc Pessin est parvenu à déchiffrer l'écriture des Pessinois, l'honnêteté nous oblige à mentionner qu'il a bénéficié des travaux d'un prodigieux défricheur, le philologue Carl Nissep (1801-1854) avait commencé à trouver quelques-unes des clés de cette langue inouïe dont les Pessinois, peuple qui devait tenir la fonction de scribe en haute estime, ont littéralement couvert la plupart de leurs créations. Phonétique et idéogrammatique à la fois, l'écriture comprend quelques centaines de signes figurant une lettre, une syllabe, un mot ou une image.

Les textes qui nous sont parvenus sont de natures diverses : odes et épopées (hélas tronquées), fragments philosophiques, édits royaux voir un exemple, traités de géométrie et de mécanique des fluides traversées de fulgurances visionnaires et enfin nombre de testaments mystérieux, comme si les Pessinois avaient voulu nous léguer quelque informulable secret.
Dans sa bibliothèque, Marc Pessin collectionne tous les ouvrages qui ont trait à l'aventure pessinoise voir un exemple. La consultation de son catalogue dévoile un éclectisme déroutant : un Imprécis de pessinologie côtoie le Dictionnaire des cas de conscience, un copieux Abrégé des sciences approximatives et des calculs imparfaits voisine avec l'Echo des Pessinois chez les Dogons etc. Se distingue aussi une pléthore d'ouvrages consacrés à la botanique et à l'entomologie.
Après le léger sentiment d'étourdissement qu'aura provoqué la découverte de cette autre humanité, on ne sera plus guère surpris d'apprendre que celle-ci vivait entourée d'une végétation insolite peuplée d'exubérants insectes. Plus de quatre-vingt herbiers voir un exemple échantillonnent ces plantes, décrivent leurs particularités et énumèrent, avec force détails, leurs vertus curatives ou leur nocivité. La plupart des feuilles présentent à leur surface des tissus cicatriciels dont les contours rappellent de façon troublante les signes de l'alphabet pessinois.

L'univers des insectes voir un exemple, avec plus de sept cents espèces répertoriées, s'avère plus fantastique encore. La famille du Lanternus voir un exemple occupe une place à part. Ce papillon diffusait à travers les parois de son abdomen une lumière dont l'intensité pouvait être modulée par ses battements d'aile. Les Pessinois l'ont tout naturellement utilisé comme lanterne. Citons d'autres lépidoptères, le Fascinator natubundus, ou enchanteur vacillant, au vol silencieux, l'insaisissable Efficax incontrilabilis et véritable joyau, le Commartyr immoderatus, aux beaux yeux fascinants et aux ailes velues, arborant une cravate de velours vieux rose sur un pourpoint parsemé de paillettes d'or.
Le monde des Pessinois est une utopie, étymologiquement un non-lieu, un pays insituable et sans contours : il est partout et nulle part et sa dimension est incommensurable.
En enfouissant les productions pessinoises qu'il ira exhumer parfois longtemps après avec l'aide de ses relevés topographiques, Marc Pessin propose d'entrer dans la dimension d'un temps inaccompli : le temps suspendu d'un rêve fondamental dont notre réalité est imprégnée et dont, paradoxalement, nous avons besoin pour nous tenir éveillés.