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2- Que fut Le Grand Jeu ? Quel rapport y eut-il entre les Phrères simplistes et les Surréalistes ? Quelles furent les relations de Roger Vailland avec le groupe d’André Breton ?

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1925. Vailland et Daumal sont à Paris pour préparer Normale Sup’ en hypokhâgne. Minet les rejoint, passe d’un emploi à l’autre (de la Régie Renault à la librairie Plon, d’une compagnie d’assurances à Gallimard…). Lecomte et Meyrat sont à Reims. Les Simplistes ont depuis longtemps un projet de revue qui les ferait connaître au Paris intellectuel qu’ils brûlent de conquérir. Lecomte, maître incontesté du groupe, écrit à Vailland : « Simpliste succédera au surréalisme comme celui-ci au dadaïsme (vois-tu dans ta pensée ce qui dans Simpliste est supérieur, plus beau, plus chose que surréalisme…). Je t’en écrirai un jour le manifeste : Phosphène et bavures d’un simpliste… ».
En 1926, au culot, Minet rencontre Léon Pierre-Quint, directeur littéraire du Sagittaire avec le surréaliste Philippe Soupault, éditeur de l’avant-garde et découvreur de nouveaux talents. Léon Pierre-Quint s’intéresse aux Simplistes, va rendre visite à Lecomte à Reims. Il est séduit.

1927. Vailland et Daumal renoncent à Normale Sup’ et s’inscrivent à la Sorbonne. Lecomte les rejoint à Paris. Meyrat reste à Reims et s’embourgeoise. L’été se passe dans la fièvre, à préparer la naissance de la revue dont Léon Pierre-Quint a promis de financer la publication. Certains surréalistes, tels Desnos, Ribemont-Dessaignes ou le peintre Sima, suivent avec un vif intérêt les travaux de ces enfants si doués. Le groupe s’étoffe. Vailland trouve le titre de la future revue.

En juin 1928 paraît le premier numéro du Grand Jeu. Dans le manifeste écrit par Gilbert-Lecomte et approuvé par toute l’équipe (Vailland, Daumal et Minet, Rolland de Renéville, le poète hollandais Hendrik Cramer, le photographe Artür Harfaux, le dessinateur Maurice Henry), la rédaction de la revue annonce ses objectifs : « Le Grand Jeu est irrémédiable ; il ne se joue qu’une fois. Nous voulons le jouer à tous les instants de notre vie… Il faut se mettre dans un état de réceptivité entière, pour cela être pur, avoir fait le vide en soi. De là notre tendance idéale à remettre tout en question […] Nous nous donnerons toujours de toutes nos forces à toutes les révolutions nouvelles. Les changements de ministères ou de régime nous importent peu. Nous, nous attachons à l’acte même de révolte une puissance capable de bien des miracles… »
Vailland se dépense sans compter pour faire connaître la revue à la presse et au milieu littéraire parisien. Le Grand Jeu, malgré ses efforts et ceux de Léon Pierre-Quint, n’intéresse pas grand monde. Mais André Breton veut connaître ces jeunes Simplistes, dont les théories sont si proches de celles du mouvement sur lequel il entend régner sans partage. Vailland d’abord, puis ses camarades subissent un interrogatoire en règle. Ces premiers contacts sont plutôt positifs et l’on parle d’éventuelles collaborations. Mais lorsque Ribemont-Dessaignes écrit à Breton : « Il ne vient rien derrière nous, ou si vous voulez devant nous. La seule porte ouverte est celle du Grand Jeu », lorsque Monny de Boully quitte les Surréalistes pour rejoindre les Simplistes, le Pape sent le danger.

En juillet 1928, Vailland, qui souffre d’un manque d’argent chronique, entre à Paris-Midi où l’introduit Robert Desnos et où Pierre Lazareff, le jeune secrétaire général,  l’engage comme journaliste. Le 15 septembre, il a l’imprudence de signer de son nom un article bien dans le ton de Paris-Midi , « L’Hymne Chiappe-Martia », à la gloire de l’ultraréactionnaire préfet de police de Paris.

Début 1929, alors que Vailland travaille à « Arthur Rimbaud ou guerre à l’homme », sa contribution au numéro 2 du Grand Jeu, des internes de Normale Sup’ signent une protestation contre la préparation militaire qu’on prétend leur imposer. Les Nouvelles littéraires refusent le brûlot. Les étudiants s’adressent alors au Grand Jeu. Breton, qui voit un beau scandale échapper aux surréalistes, est furieux. Il faut en finir avec Le Grand Jeu, et d’abord avec Vailland, le plus dangereux des Simplistes puisque Daumal et Gilbert-Lecomte sont de plus en plus abrutis par la drogue et l’occultisme.

Le 11 mars 1929, dans l’arrière-salle du Bar du Château, en présence de l’équipe du Grand Jeu au complet et d’une vingtaine de surréalistes et sympathisants, c’est le procès des Simplistes. Tout y passe, et surtout l’article de Paris-Midi. Vailland est traité de flic par André Thirion, écrasé par Breton et Aragon. Seul Ribemont-Dessaignes prend sa défense et quitte l’assemblée, indigné par cette « parodie de justice devant une manière de tribunal ». Gilbert-Lecomte et Daumal ne trouvent aucun argument pour soutenir leur phrère. Vailland sort brisé du Bar du Château. Son nom est effacé du troisième numéro du Grand Jeu. Il s’éloigne de ceux qui l’ont renié, et il souffrira de ce reniement sa vie durant.

La revue Le Grand Jeu s’arrête au quatrième numéro. Le mouvement éclate. En 1934, Vailland écrit à son ami Jean Beaufret : « L’ancien monde achève de se désagréger. Lecomte est fou et passe ses rares instants de lucidité à essayer de prouver qu’il est encore intelligent ; Daumal joue au mâle qui protège son épouse (entre une vieille femme et un vieillard qui se croit prophète) ; … Pierre-Quint n’a plus d’argent ; on ne parle plus des surréalistes », etc.

Le 31 décembre 1943, Gilbert-Lecomte meurt du tétanos à l’hôpital Broussais, Daumal le suit le 21 mai 1944, miné par la tuberculose.

En 1948, Vailland règlera son compte à Breton avec un pamphlet implacable : Le Surréalisme contre la révolution.