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3- Que fut l’engagement politique de Roger Vailland ?

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Au lycée de Reims, Vailland est initié au marxisme par son professeur de philosophie René Maublanc, à qui il vouera une admiration et une amitié durables. À Paris, le jeune homme rencontre les communistes du milieu surréaliste et, à l’automne 1927, lors d’un voyage de deux mois en Tchécoslovaquie, des étudiants communistes au nombre desquels une ravissante Milada. Il est fasciné par la révolution d’Octobre, les Soviets et l’URSS. Le communisme, c’est l’espoir concret de « changer la vie » (comme le voulait Rimbaud, le modèle de son adolescence) et de répondre à l’aspiration humaine au bonheur (comme le voulait Saint-Just, qu’il lira toute sa vie). Plus tard il rend compte avec enthousiasme des luttes populaires dans ses grands reportages, notamment en 1932 en Espagne républicaine. Dans les mois qui précèdent le Front populaire il écrit Un Homme du peuple sous la Révolution avec son ami Raymond Manevy, rédacteur en chef socialiste à Paris-Soir, roman historique autour de Jean-Baptiste Drouet, le patriote qui fit arrêter Louis XVI à Varennes, geste sacrilège, geste irrémédiable qui marque la fin de la féodalité.  L’« inoubliable printemps 1936 » fait  vibrer les derniers mots d’Un Homme du peuple… : « Le temps viendra où […] chacun pourra vivre librement, en homme digne du nom d’homme. »

Il faut cependant attendre la guerre, Paris-Soir replié à Lyon en zone Sud et la rencontre de Vailland avec des résistants en majorité communistes, pour que cette sensibilité de gauche se transforme en engagement politique. Au début de 1943, après une cure de désintoxication où il se libère une première fois de l’héroïne, il s’engage dans un réseau gaulliste de la Résistance et fait sa demande d’adhésion au PCF – en vain, la direction du Parti n’appréciant guère sa réputation de libertin et de drogué. Qu’à cela ne tienne : Vailland se veut communiste et se comporte comme tel. À la Libération il quitte Lazareff qui fonde France-Soir et choisit la presse progressiste issue de la Résistance : le quotidien Libération dirigé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, l’hebdomadaire communiste Action et la revue Confluences. Il s’engage dans le Mouvement de la Paix qui naît du Congrès mondial des intellectuels et des personnalités pour la paix en août 1948 à Wroclaw. À partir de 1951 il s’installe dans l’Ain, où il vit dans une grande austérité avec sa seconde femme Élisabeth : il a décidé de devenir « un grand écrivain ». Un grand écrivain progressiste, s’entend.

Le 7 juin 1952, après l’interdiction par le préfet de police du Colonel Foster plaidera coupable, sa pièce contre la guerre de Corée produite par le PCF au théâtre de l’Ambigu, Vailland demande à Jacques Duclos, secrétaire du Parti, d’accepter son adhésion. Duclos, depuis la prison de la Santé où il est enfermé pour un soi-disant complot contre la sûreté de l’État, en réalité à cause de l’opposition violente du PCF à la guerre de Corée et à la venue du général américain Ridgway à Paris, l’accueille cette fois à bras ouverts. Le 10 juin, l’adhésion de Vailland au PCF est annoncée à la une de L’Humanité.
Aux Allymes, à Meillonnas, Vailland milite « à la base », là où il vit : réunions de cellule, collages d’affiches, prises de paroles, actions politiques. Pendant la campagne des législatives de décembre 1955, il sert de garde du corps et de chauffeur au candidat communiste Henri Bourbon pour la centaine de réunions qu’il tient dans le département. Il milite, il écrit, il aime, il est heureux.

En 1956, c’est le rapport Khrouchtchev au 20e Congrès du PCUS. Vailland ne veut pas croire aux crimes de Staline, l’incarnation même du modèle bolchevik. En avril, au Congrès des écrivains à Prague, il doit se rendre à l’évidence. Dans son journal, il écrit : …« j’ai pleuré le jour de la mort de Staline. Et j’ai de nouveau pleuré sur le chemin de Moscou, à Prague, j’ai pleuré toute une nuit, quand j’ai dû le tuer une seconde fois, dans mon cœur, après avoir lu le récit de ses crimes. » Il se sent « comme mort ». De retour à Meillonnas, il décroche la photo de Staline dans son bureau et trace à la craie  sur le tableau noir des citations : « Il n’y a plus rien au cœur de ma vie. ». C’est la fin de « l’époque la plus heureuse ». Il est brisé, il n’a plus envie d’écrire parce que « l’histoire de son temps et sa propre histoire qu’il croyait aller de concert » vont soudain à contretemps. Comme il le dira de Duc, son double dans La Fête, le plus directement autobiographique de ses romans, « il venait de se détacher de l’humanité tout entière ».
Il faudra l’amour, la patience et les soins d’Élisabeth, il faudra un long séjour en Italie pour qu’il retrouve le goût de vivre et l’envie d’écrire.

Le 22 octobre 1956 Budapest se soulève, puis toute la Hongrie. Le 4 novembre les chars soviétiques écrasent l’insurrection dans le sang. Le 5, Vailland signe un peu vite une  protestation d’intellectuels français et s’en repent aussitôt : « J’ai trahi les camarades, je ne suis plus bon à rien ». Le fossé se creuse entre lui et le Parti qui le juge durement. Vailland s’abstient de toute activité politique et quitte sans bruit le PCF en 1959. Il se prétend « désintéressé », mais tombe entre deux livres dans des abîmes d’ennui, de désespoir et d’alcool. Les derniers mots de La Truite, son dernier roman, sont « Qu’elle tienne, qu’elle tienne… Mais pour quoi faire ? »

Vient enfin, selon Élisabeth, « le temps du réengagement ». Le 26 novembre 1964  paraît dans Le Nouvel Observateur son dernier article, Éloge de la politique, qui se termine ainsi : « Qu’est-ce que vous faites, les philosophes, les professeurs, les écrivains, moi-même, les intellectuels comme on dit ? Les praticiens ne manquent pas, ce monde en est plein. Mais les penseurs politiques ? En attendant que revienne le temps de l’action, des actions politiques, une bonne, belle, grande utopie (comme nous pensions en 1945 que « l’homme nouveau » serait créé dans les dix années qui allaient suivre), ce ne serait peut-être déjà pas si mal. »

Alors qu’il est à bout de forces, il a encore le projet d’un grand roman politique. « Roger était convaincu d’avoir écrit des pages et des pages de notes. Mais en fait il n’avait rien rédigé » dira Élisabeth racontant ses derniers jours. Elle raconte encore qu’à quelques heures de mourir il la presse de rejoindre ses camarades communistes, les vivants et les morts, qu’il croit entendre faire la fête au rez-de-chaussée de sa maison. Célébrité, argent, libertinage, voyages fastueux, rien n’aura pu lui faire oublier « l’époque la plus heureuse » de sa vie.