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4- Comment l’expérience du journalisme sert-elle l’œuvre littéraire de Roger Vailland ?

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Le 22 juillet 1928, Vailland entame sous la direction de Pierre Lazareff une longue carrière journalistique. Il déclare : « Je méprise ce métier mais, comme il faut vivre, je deviendrai un grand journaliste ». À Paris-Midi puis Paris-Soir, à tous les postes du métier – faits divers, critique de cinéma, service artistique et littéraire, chronique de la vie parisienne, grands reportages, politique étrangère, politique intérieure -, il affine ses méthodes d’enquêteur et d’analyste et, sous les pseudonymes de Georges Omer, Étienne Merpin, Robert François ou Le Conservateur des Hypothèques, forge l’écriture nerveuse, aiguë, qui deviendra sa marque de fabrique.
Ses premiers romans sont des « romans-reportages » signés de son nom : Leïla ou les ingénues voraces paraît en feuilleton dans Paris-Soir du 5 au 15 octobre 1932 ; La Visirova du 19 juillet au 17 août 1933. En 1936, il fait du rewriting pour Confessions, l’hebdomadaire illustré que vient de lancer Joseph Kessel : « On se trouve avec devant soi une pile de documents, de récits, d’informations : il faut ramasser tout cela en une page de journal, c’est-à-dire en douze pages dactylographiées, interligne 2, et que cela se lise, c’est-à-dire que le lecteur soit entraîné, lié, tenu en suspens, ébranlé, remué, secoué, et finalement satisfait par un dénouement qui résolve toutes les questions posées ! On n’y parvient qu’en organisant toutes les phases du récit dans la durée d’une seule action dramatique. » On a ici, déjà, une description du travail du romancier tel que le conçoit Vailland.

Dans les années cinquante, alors qu’il collabore au journal communiste Les Allobroges, ses reportages sur les filatures de la vallée de l’Albarine lui fourniront la matière première de Beau Masque, et sur l’industrie du plastique à Oyonnax, « la ville des mains coupées », de 325 000 Francs.  Dans L’Humanité, Dominique Desanti écrit à propos de ce dernier roman : « Rien de classique comme ce récit de la vie contemporaine… L’histoire est très quotidienne. Et pourtant, à la dernière page, nous connaissons une petite ville industrielle du Jura, le travail de la matière plastique, des ouvriers de tous les degrés de conscience, un artisan « parvenu » et son fils qui fait le fils-à-papa sans y croire, et certains des problèmes que posent la modernisation de l’outillage et la productivité. Nous savons aussi que l’ouvrier tout seul ne peut pas « acheter sa liberté »… Nous le savons de l’intérieur, par expérience et sans un mot de commentaire politique. Nous savons aussi que Roger Vailland est un grand écrivain. » Le grand écrivain n’oublie pas le « métier » de journaliste, il le met au service de la fiction qui en retire une exceptionnelle consistance.
Du reste Vailland ne s’éloigne jamais longtemps du journalisme. Entre deux romans, l’observation du monde le distrait du désespoir dans lequel l’a plongé la révélation des crimes de Staline. Il renoue avec le grand reportage et la grande presse : en juin 1957 sept articles pour France-Soir sur les champions de la course automobile ; en 1959 six articles, toujours pour France-Soir, sur son long voyage de l‘année précédente dans l’océan Indien ; en 1961 l’ouverture du procès Eichmann à Jérusalem pour France-Observateur. Quelques mois avant sa mort, il donne au Nouvel Observateur son dernier texte, Éloge de la politique, qui est une sorte de testament.