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5- Quelle est la part de l’autobiographie dans l’œuvre de Roger Vailland ?

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C’est en pleine Résistance, à trente-sept ans, que Vailland écrit Drôle de Jeu, son premier roman : l’engagement lève son inhibition devant l’écriture romanesque, qui le taraudait depuis des années. François Lamballe (comme il se faisait appeler par ses Phrères simplistes), dit Marat (le nom même de Vailland dans la Résistance !), est l’autoportrait contemporain de l’écrivain, un dandy qui dit non. Tout comme il se met en scène, il trouve dans la vie les modèles de ses autres personnages: ses camarades de la Résistance Jacques-Francis Rolland pour Rodrigue, Daniel Cordier pour Caracalla, Claude Dreyfus pour Frédéric, sa femme Andrée Blavette, dite Boule, dont il commence à se déprendre, pour Mathilde.
Dès Drôle de Jeu  Vailland est au centre de son œuvre. Il le restera. Les trois romans suivants lui servent à régler ses comptes avec son passé et témoignent de sa construction : dans Les Mauvais coups, Milan en finit avec l’esclavage de l’amour-passion, suicidant Boule sous les traits de Roberte et Roger Gilbert-Lecomte sous ceux d’Octave. La porosité entre la vie et l’œuvre est telle que Vailland ne nommera plus sa première femme, qui se suicidera en effet des années plus tard, que sous ce nom de Roberte. Dans Bon pied, bon œil, Lamballe-Marat, le dandy de Drôle de Jeu, est mis hors de combat parce que Vailland se veut désormais bolchevik comme Rodrigue. Dans Un jeune homme seul, le dernier roman « thérapeutique », il est Eugène-Marie Favart se libérant de sa famille et de sa classe sociale, la petite bourgeoisie, par l’engagement dans la lutte aux côtés de ses camarades. À la fin de ce cycle, sa pièce Le Colonel Foster plaidera coupable, dont l’interdiction lui vaudra sa carte au PCF, est presque une caricature à la gloire de l’héroïque homme nouveau, cet homme qu’il entend devenir.

Membre du Parti, Vailland veut se faire « écrivain au service du peuple. » Beau Masque et 325 000 Francs sont des romans militants. Sa rencontre avec Marie-Louise Mercandino, qui inspirera la Pierrette Amable de Beau Masque, est aussi décisive pour Vailland que son reportage sur la vallée de l’Albarine. Ici, « le récit est fait à la première personne par l’auteur, témoin des événements qu’il raconte. »
Dans 325 000 Francs, l’auteur du roman se met également en scène en tant que tel, et sa femme Élisabeth sous le nom de Cordélia. Henri Bourbon, modèle de Chatelard, le délégué syndical qui est à l’opposé de Busard, le héros malheureux du roman, contrôle les versions successives du manuscrit que tient à lui montrer Vailland.

Après 1956, où le rapport Khrouchtchev l’anéantit, La Loi est le seul roman de Vailland où il n’apparaît pas. Il dit cependant : « Le personnage de Don Cesare est un peu de moi-même. Transposé. » Vieil homme « désintéressé » mourant du « mal de Vénus » aux dernières pages, la main posée sur le sein d’une jeune fille, c’est peut-être ainsi, en effet, que se projette l’auteur désenchanté. La Loi, le plus classique de ses romans, le plus proche du modèle stendhalien, donne à Vailland le Prix Goncourt, la célébrité et l’aisance matérielle, s’il n’apaise pas son désespoir.

Ses derniers romans sont basés sur une analyse des rapports sociaux, du pouvoir de l’argent. Sur le libertinage aussi, qui prend désormais une place essentielle. « Je me suis tout entier intégré à moi-même, chaque geste de l’amour, dans l’instant où il est accompli et s’il est exécuté avec bonheur, met en cause l’homme tout entier. » Communiste, écrivain, libertin, quelles que soient ses figures Vailland ne se divise pas.
Il est le protagoniste principal de La Fête sous le nom de Duc, y met en scène Élisabeth sous le nom de Léone, et le sujet du roman est explicitement ce moment de sa vie où il se souvient de toutes ses « saisons » et cherche la souveraineté dans son aire privée, faute de pouvoir la vivre collectivement.
Son dernier roman, La Truite, est construit autour des concentrations de sociétés et de banques, nouvelles réalités de l’économie, autant qu’autour de Frédérique, Lamiel moderne. Dans La Truite aussi il est son propre personnage, sous son nom de Roger.
L’écriture est pour Roger Vailland une tentative d’élucidation de sa propre vie : enjeux, contradictions intimes ou politiques, tout doit passer par l’écriture pour être réalisé ou dépassé. L’écriture : la seule façon d’aller d’une saison à l’autre sans être complètement détruit. « Lorsqu’il m’arrive quelque chose de très désagréable, dans un domaine quelconque, je pense quand même immédiatement à la matière que cela me donne. C’est pourquoi je n’ai jamais été malheureux complètement… L’artiste, le créateur, a son œuvre à faire. Artiste, écrivain : inapte au malheur. »