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6- Comment définir l’art du roman selon Roger Vailland ?

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« Un écrivain qui dure », dit Vailland, est celui qui « peint dans son essence le monde de son temps. » Le travail du romancier consiste à raconter une histoire qui ait « toutes les faces possibles de la réalité. » Ne rien inventer ou presque, mais se méfier du document. « Ce qui n’a pas de forme n’existe pas », dit-il. C’est dire que l’art du roman est un art de l’observation, de l’expérience vécue et de l’écriture, dont l’alliance seule peut créer consistance et vérité.

Les descriptions de Vailland sont célèbres : le vêlage de la Blonde dans Les Mauvais coups, la noce d’Un jeune homme seul, la course cycliste et l’accident à la presse de 325 000 Francs, le jeu de La Loi, le bowling de La Truite… sont des morceaux d’anthologie. Mais ces descriptions, loin d’être seulement des tours de force formels, sont au centre de la construction romanesque, de sa dynamique et de sa signification.

Au travail sur Beau Masque, il note : « Ma méthode de travail consiste à faire de chaque chapitre une scène, au sens théâtral du mot, une petite action complète, ayant un commencement et une fin. Je ne commence à écrire ma scène que quand j’ai parfaitement imaginé tous les détails, les yeux clos, aussi intensément que les rêves éveillés que font les enfants avant de s’endormir ; je ne commence d’écrire que lorsque j’en sais sur mes personnages, leur comportement, leur physique, leur habillement, beaucoup plus que je vais en dire ; je ne suis content que si le décor imaginaire de la scène est devenu tellement précis que je ne peux pas changer par l’imagination un meuble de place sans que toute la scène, y compris le comportement des personnages, en soit modifiée ; mais le plus souvent je ne mentionne pas ce meuble dans ce que j’écris ; il faut seulement qu’il soit présent à ma pensée pour que le ton reste juste. Mais laissons cela qui est la cuisine du métier de romancier. »
Il se met en scène, sans masque parfois, il met en scène ceux qui l’entourent, mais il écrit à sa sœur : …« il est difficile, quand on n’est pas dans le métier, de comprendre qu’un roman est une re-création, qu’il utilise les éléments les plus divers et que chaque personnage est tellement « composite » qu’il serait totalement faux de s’y retrouver. »

Vailland prend son temps : il écrit généralement un premier jet de son roman, le laisse reposer quelques semaines et le réécrit complètement.
Il précise : « C’est que c’est une toute autre histoire d’écrire un roman que d’écrire un reportage. Il faut laisser mûrir tout cela. Les personnages d’un roman, pour exister, doivent acquérir une vie propre, autonome, absolument indépendante des modèles qui lui ont donné naissance. »

Le travail de l’écriture est une ascèse. Il demande une concentration soutenue, un règlement de la vie quotidienne, un aménagement du temps qui s’apparentent à la règle monastique ou à la discipline d’un sportif, mais aussi une conscience de soi poussée à l’extrême : « Quand j’écris un livre, je fais chaque jour ma course, j’accomplis mon parcours : un certain nombre de pages. Il arrive un moment, une page, où, dans ma manière de travailler, je décèle – l’expérience me l’a enseigné – que mon parcours de la journée est achevé. Je pourrais par décision prolonger le parcours, me contraindre à écrire quelques pages de plus. Ce serait fâcheux. Je devrais le lendemain réécrire les pages rédigées dans la contrainte et elles n’auraient pas la verdeur d’un premier jet : la chance dans l’écriture se changerait en malchance, la grâce en disgrâce. Il est temps d’aller au sommeil. Tout état vécu – forme, chance, grâce et l’extrême éveil qui est la pointe de la grâce – tend à mesure que s’épuisent les possibilités qu’il contient à se transformer en son contraire… Je me suis toujours appliqué à distinguer le moment où s’achève le bonheur d’une saison, l’instant où la grâce va se changer en disgrâce. Il faut dégager à temps…. C’est l’art de vivre. »
L’art de vivre, l’art d’écrire sont tout un pour Vailland.