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7- De quelle conception du théâtre relèvent les pièces de Roger Vailland ? Comment conçoit-il l’adaptation cinématographique ?

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« J’ai envie d’écrire une pièce – note Vailland dans son journal à la Libération. Le théâtre rapporte de l’argent. » Il écrira trois pièces au long de sa vie : Héloïse et Abélard au lendemain de la guerre, drame historique d’un nouveau romancier à succès joué à Paris dans un parfum de scandale bourgeois ; Le Colonel Foster plaidera coupable, pièce militante interdite en France mais jouée six mois durant dans les pays de l’Est, qui fera de Vailland un auteur communiste officiel ; et beaucoup plus tard Monsieur Jean, paraphrase du Dom Juan de Molière et du Don Giovanni de Mozart, qui ne sera créé en France qu’en 1976.

Il déclare : « Héloïse et Abélard emprunte le moule traditionnel du drame historique français. Mais comme je suis un auteur « progressiste », le contenu en est « progressiste ».» L’on s’étonne de voir Vailland s’engager dans le vieux divorce entre la forme et le fond et un douteux théâtre de message ! Il n’en sortira pas, hélas.
Comme beaucoup d’écrivains, Vailland met le texte littéraire au premier plan et ne s’interroge pas réellement sur la question de la dramaturgie. Le romancier novateur qui, dans ses fictions, sans un mot de commentaire, par un simple enchaînement des faits, est capable de montrer les plus complexes des conflits, produit un théâtre rhétorique, bavard, sans imagination dramatique, sans autre fonction pour la scène que de fournir un cadre matériel à des acteurs transformés en haut-parleurs de ses idées. Son modèle est la tragédie française du 17e  siècle avec ses cinq actes et les lois de l’action dramatique telles que les formule Racine dans la préface de Britannicus. Et encore la vision qu’il en a n’est-elle pas sensiblement différente de celle qu’il a acquise au lycée ! « Le théâtre, dit-il, est d’abord une certaine manière de raconter une histoire que des spectateurs puissent tenir pour vraie. Le théâtre est illusion. »
Ainsi Vailland considère-t-il Bertolt Brecht, avec son théâtre épique et sa distanciation, comme un « primitiviste », parce qu’à l’instar des poètes tragiques grecs il prétend parler de l’Histoire – fonction que Vailland assigne au seul roman. Il l’a pourtant rencontré à Berlin à maintes reprises lors de la tournée du Colonel Foster… Mais il est aveuglé.

En 1954, avec La Bataille de Denain, Vailland tente de mettre en pratique les préceptes développés l’année précédente dans son traité du théâtre Expérience du drame,  et doit y renoncer après les deux premiers actes, parce qu’il bute sur l’unité de lieu. La pièce reste inachevée.
Dans Monsieur Jean, sa dernière pièce, transposition de Dom Juan à l’époque contemporaine, écrite en 1957 au sommet du succès (après le Goncourt) et au fond de la dépression (après le 20e Congrès du PCUS), il transforme en bourgeois l’aristocrate féodal de droit divin, et Leporello devient Leporella, l’épouse de Monsieur Jean. La dimension essentielle du défi lancé à Dieu et aux lois royales par le libertin du 17e siècle a disparu : en place de la grande figure mythique et sacrilège nous avons un « catalogue de nos préjugés ». C’est peu.

Le rapport de Vailland avec le cinéma souffre des mêmes incompréhensions. « La plupart des cinéastes actuels sont des écrivains ratés », déclare-t-il en 1959 ! Il ne comprend pas que le cinéma est un mode de récit spécifique, par les moyens de l’image et du son. D’où de tristes scénarios où l’image est conçue comme  l’illustration conventionnelle d’un propos qui lui est extérieur. Dans son Encyclopédie du cinéma, Roger Boussinot classera Bel Ami, film de Louis Daquin sur un scénario de Vailland d’après Guy de Maupassant, dans le registre des « pauvres œuvres, adaptations étroites et réalisations sans envol ». Ce sera pire encore au moment de la collaboration avec Roger Vadim. Moderniser ou actualiser des œuvres du passé n’est pas forcément pertinent ! L’on comprend mal l’intérêt de transposer en 1960 Les Liaisons dangereuses, le roman même du siècle des Lumières, de voir Madame de Merteuil devenir Madame Valmont, et le portrait de la fin d’un monde une histoire de rivalités et de coucheries dans une bourgeoisie désoeuvrée. Et il vaut mieux oublier le ridicule de Le Vice et la Vertu, qui transporte Justine, l’héroïne des Malheurs de la vertu de Sade, dans les milieux de la collaboration française avec les nazis. Auparavant, Roger Boussinot avait déjà qualifié Et mourir de plaisir, la première collaboration Vailland-Vadim, de « vampirisme sous cellophane qui devient du cinéma mondain ».
Il y aura heureusement les exceptions des Mauvais coups, grâce à l’exigence du jeune réalisateur François Leterrier, du Jour et l’heure, grâce au solide métier de René Clément, et, pour la télévision, l’excellente réalisation de 325 000 Francs par Jean Prat. 

Dans le théâtre et le cinéma de Vailland, qui sont comme une littérature simplifiée à l’usage du grand public, l’on peut retrouver la trace de Jdanov qui destinait au peuple la peinture académique à sujet révolutionnaire, et non pas la peinture révolutionnaire. L’on sait pourtant qu’il ne saurait y avoir de pensée novatrice dans une forme qui ne l’est pas. En réalité, le théâtre et le cinéma n’intéressent pas Vailland, qui n’y va jamais. Mais voilà, il y a l’argent. Il écrit dans son journal : « Inutile de jouer le béguin pour le cinéma, personne n’y croira… Une putain, c’est en affichant le luxe qu’elle sauve sa dignité. » Et il conclut, d’après Élisabeth : « J’ai fait la pute, j’ai ma Jaguar ».