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8- Quelles sont les grandes figures louées dans les essais de Roger Vailland ?

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De 1945 à 1962, Vailland consacre à la figure du libertin et au siècle des Lumières la plupart de ses « réflexions, esquisses et libelles ». En 1963 il en reprendra l’essentiel dans Le Regard froid, son dernier essai. En même temps qu’un sommet de la civilisation française, le siècle des Lumières est à ses yeux le sommet incomparable de la langue et du style. Ce n’est pas peu dire pour un écrivain !

Dans Quelques réflexions sur la singularité d’être Français, Vailland déclare : « On peut définir ce qui est essentiellement français avec toutes les locutions qui ont libre pour racine, à condition de n’en exclure aucune : liberté, esprit libre, libre penseur et également libertinage. »
 « Le mot « libertin » – écrit-il dans sa préface à l’édition du Club des Libraires des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos – désigna d’abord, au 16e siècle, une secte protestante, venue des Flandres, qui professait que l’âme meurt avec le corps, et qui entra en lutte à Genève avec Jean Calvin.
Au 17e siècle, le libertin devint plus généralement l’homme « qui ne s’assujettit ni aux croyances, ni aux pratiques de la religion » (Littré). L’origine étymologique de libertin, c’est liberté. Le libertin, c’est le citoyen qui défend la liberté de l’homme contre les superstitions de la religion et les persécutions des autorités religieuses.
À cette époque, le libertin est un héros. Car à proclamer qu’il ne croit ni à Dieu ni à la survie de l’âme, à nier la vie future, il risque très exactement sa vie présente, la seule qui existe pour lui. Les autorités ne badinent pas avec ces choses-là. C’est pourquoi on appela aussi le libertin un roué, c’est-à-dire un homme « digne du supplice de la roue » (Littré). »
C’est le libertinage des esprits libres en lutte contre les obscurantistes et les excommunicateurs qui fascine Vailland. C’est le travail de la raison, qui culmine avec les Lumières, cette raison qui invente un monde qui n’a plus besoin de dieu ni de roi, où la pensée se rend capable de comprendre tous les phénomènes et où le corps, abandonnant la fiction de son origine divine et découvrant son appartenance à la nature, conquiert par conséquent sa pleine liberté. Soit l’invention du matérialisme moderne. « Tout le progrès de l’homme, toute l’histoire des sciences est l’histoire de la lutte de la raison contre le sacré », dit Vailland.

Revenons à la préface : « À la fin du 18e siècle, au moment où furent écrites Les Liaisons, la raison l’a emporté parmi l’élite de la nation et le libertinage a cessé d’être excessivement dangereux. On ne mène plus les roués au supplice de la roue. Ils peuvent s’en tirer avec de l’astuce, de la rouerie au sens d’aujourd’hui. La haute société a adopté le libertinage, mais n’en a conservé que l’aspect le plus aimable […] De toutes les libertés proclamées par les libertins de l’époque héroïque, elle n’a retenu pour elle-même que la liberté dans les mœurs. »

Le cardinal de Bernis est l’un de ces aristocrates athées que Vailland admire à cause de son élégance, de sa liberté de pensée et parce qu’il obtient tout ce qu’il désire. C’est la figure même de l’homme de qualité, qu’il nomme aussi l’uomo di cultura ou l’homme d’esprit : «  L’homme d’esprit garde toujours ses distances… cette distance que l’être doué de raison met entre soi-même et le monde pour raisonner clairement du monde et de lui-même dans le monde. » La raison, encore, qui veut qu’un libertin « ne se livre pas » à ses désirs, mais les soumette au « regard froid » de l’art et de la vertu. La volupté est à ce prix. Il faut se garder, précise Vailland, de « confondre libertinage et dévergondage », comme « la sottise et l’hypocrisie bourgeoise » aimeraient à le faire.
Charles Baudelaire disait : « La Révolution a été faite par des voluptueux. » C’est la clé de l’attachement de Vailland pour la Révolution française. Du libertin au révolutionnaire il n’y a qu’un pas. Le pas qui associe l’œuvre individuelle de la raison à son œuvre collective, ou si l’on veut qui passe de la morale privée à la sphère politique.