« Je tâche de me défaire du rôle d'illustrateur : j'essaie (sans l'oublier) de sortir du poème, pour être moi-même, d'abandonner toute séduction (…) pour pouvoir mieux me rencontrer avec le poète. »Marc Pessin
Si l'expression "ami des poètes" est souvent galvaudée, elle trouve chez Marc Pessin tout son sens. Les plus grands poètes et graveurs du XXème siècle ont collaboré et collaborent toujours aux projets de ce faiseur de livres dont le catalogue riche de presque mille titres est une véritable mémoire vivante de la bibliophilie contemporaine. Citons Jorge Luis Borges, Andrée Chedid, Michel Butor, Adonis, Alain Bosquet, Eugène Guillevic, Pierre Seghers, Marguerite Yourcenar, Georges-Emmanuel Clancier, François Cheng...
Deux figures se détachent clairement, celle de Jean-Claude Renard et celle de Léopold Sedar Senghor.
Le milieu des années 60 voit surtout l'avènement de sa collaboration avec Léopold Sedar Senghor, le poète président du Sénégal qu'il rencontre chez Paul Flamand le fondateur des éditions du Seuil qui a publié la quasi-totalité de l'œuvre du poète.
Marc Pessin découvre le poème de Senghor New York.
Avec l'assurance de la jeunesse il fait part au poète de son projet d'édition : ce dernier est enthousiaste.
Le livre est édité en 1967 à 150 exemplaires. Il est orné de six gravures en inox plaqué or, ajouré à l'acide : de véritables dentelles de métal, au graphisme rectiligne, parfait miroir de la ville à la vertigineuse verticalité.
L'ouvrage est présenté à Montréal pendant l'exposition universelle de 1967, il sera retenu dans la sélection des cinquante livres de l'année 1968 et sera exposé dans de nombreuses bibliothèques (la New York Public Library, la BnF à Paris…) .
Au total Marc Pessin consacrera 20 ouvrages d'une rare richesse d'édition à Senghor et participera à plus de 25 expositions consacrées au poète .
Léopold Sedar Senghor qui a écrit : "Mon enfance, mes agneaux, est vieille comme le monde et je suis jeune comme l’aurore éternellement jeune du monde", était fait pour rencontrer Marc Pessin, quand on observe la vigueur et la jeunesse dont témoignent les gravures les plus récentes. Elles sont aussi pures, joyeuses et vibrantes que les papiers découpés de Matisse, pourtant réalisés eux aussi par un homme mûr.
Léopold Sedar Senghor, le poète, l’homme politique, l’Académicien, chantre de la "négritude", qui a vécu dans la faille entre deux cultures, au verbe brillant, sensible, efficace, à la poésie lancinante, qui use du rythme martelé des mots comme battus au tam-tam, devait rencontrer Marc Pessin, l’inventeur de civilisations antiques dont témoignent, exhumés d’un champ de fouilles, des fossiles, des rouleaux gravés, des sceaux, des tablettes aux mystérieuses scarifications, des parures, des monnaies… Le zoologiste malicieux et génial, découvreur de bestioles étranges semblant tapies entre des végétaux exotiques, le créateur d’alphabets étonnants et de calligraphies ondoyantes, dont l’œuvre est tout entier tournée vers le relief et l’empreinte…
L’art des deux hommes se rejoint au travers de leur structure répétitive, lancinante et lyrique.
La poésie de Senghor appelle le visuel.
"Ce français aux odeurs si cambrées, aux rythmes rutilants de cymbales "(Pierre Emmanuel) semble un écho" permanent à la ligne tracée par le burin et au déploiement des couleurs". (Michel Merland)
Ils se sont rencontrés dans le milieu des années soixante. Ils ont réalisé ensemble 65 livres, illustrés par des plasticiens, des peintres, des calligraphes et par Marc Pessin lui-même graveur.
Un fonds important des livres de Senghor édités par Marc Pessin est conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble où Marc Pessin a organisé en octobre 1987 une grande exposition des peintres graveurs en hommage à Léopold Sédar Senghor, en présence du Président poète .
Cette rencontre entre un magicien et un musicien de la langue française et un des derniers artistes-éditeurs, artisan de la perfection, a permis la naissance de plusieurs miracles de la bibliophilie.
"Peut-être d'ailleurs… faut-il réserver une place toute particulière à l'œuvre gravée de Marc Pessin liée aux ouvrages de Jean-Claude Renard. Parce que ce dernier fut aussi le poète de la Chartreuse, où il venait se ressourcer chaque été, mais sans doute aussi parce que quelque affinité plus profonde faisait se rejoindre le graveur et le poète – celle d'un monde autre constamment cherché au cœur de ce monde-ci – , Marc Pessin lui a consacré une part importante de son travail. Ce ne sont pas moins de vingt-huit ouvrages, en effet, qui vont manifester, et de bien des façons différentes, cette constante communauté de recherche d'un ailleurs dans l'ici. Car c'est bien cela que nous donne à lire et à vivre Jean-Claude Renard, nous apprenant à mieux regarder le monde d'alentour, à le regarder jusqu'à faire surgir de son silence, de sa froideur et de sa nuit la chaleur et le soleil qui l'habitent. Et tout son travail de poète, l'a-t-il assez dit, sera de transcrire avec des mots ce qu'il voit ou ce qu'il sent, non pas même de faire partager l'émotion qui en résulte, mais de forcer en quelque sorte le monde qui nous entoure, et que nous appelons réalité, à se révéler tout autre qu'il paraît d'abord ; à le forcer dès lors qu'on l'entaille et qu'on entre au profond de lui, à se montrer tel qu'il est vraiment et que nous ne saurions voir d'abord. Sans fioritures d'aucune sorte, sans lyrisme encombrant. C'est aussi ce que révèlent et prolongent, avec une rare rigueur, encres et gravures de Marc Pessin rehaussant les textes du poète. Ici ce sont les ors et les noirs ajourés qui malmènent la surface du quotidien, et là le constant dépouillement du monde premier qui ne garde, pour l'habiter, que de grandes lignes de force conduisant derrière les mots. L'extrême rigueur des compositions est refus de tout bavardage, et la sobriété des planches accompagnant les Dits traduit comme la hâte d'aller voir au-delà, ou plutôt en deçà. Tantôt c'est le titre même du poème de Renard – Nul sens sauf à venir – qui appelle une gravure d'un blanc riche de tous les possibles, à peine troublé par le jeu des lignes orientées qui le traversent ; tantôt c'est un grand vide central, évidemment inhabité encore et seulement délimité par le cadre ouvragé du graveur, qui révèle tout soudain ce que le poète nomme "l'équilibre de l'être" …"(…)
Cette proximité impressionnante du graveur et du poète tient à l'évidence au fait que, pour l'un comme pour l'autre, la vraie vie est ici et l'infini à quêter au sein même du monde fini. Mais il tient aussi, si surprenant que cela puisse paraître, au fait que pour tous les deux, la voie d'accès la plus sûre à cet ailleurs au creux de l'ici s'appelle l'écriture.
L' œuvre de Jean-Claude Renard a été couronnée par le Grand Prix de Poésie de l'Académie française en 1988. Explorant des espaces intérieurs qu'on ne soupçonnait pas si vertigineux, sa poésie est fascinante, tout entière de questionnement. Elle dérange et nous met en face d'énigmes, de mystères. Sa langue permet de donner un souffle de vie aux sensations les plus élémentaires. La poésie est pour Jean-Claude Renard une "éthique de réconciliation du spirituel et du charnel". Ses textes, familiers de plusieurs traditions mystiques, de la foi catholique, sont tendus vers la révélation imminente d'un "mystère".