Les photographes

Raoul Auguste Martin (1886-1933)

La photographie va bouleverser la représentation même de la guerre dans l’inconscient collectif. La « vérité des images » n’épargne rien ni personne et rend compte de la crudité de la mort violente, de « la terrible réalité de la guerre », faisant table rase des clichés de « guerre en dentelles ». Le pouvoir de la presse s’affermit avec la photographie, à tel point que la reine Victoria interdira la représentation de soldats morts pendant la guerre de Crimée (1854), premières photographies du genre. Le premier reportage de guerre est couvert par le photographe américain Brady, autorisé à suivre les troupes engagées lors de la Guerre de Sécession (1861-1865).
En France, 1870 voit la création du premier service photographique de la préfecture de police de Paris, dix ans avant le système anthropométrique mis au point par Bertillon. La propagande s’emparera rapidement du « phénomène » photographique : les portraits des gardes nationaux tués pendant la Commune de Paris en 1871 circuleront sous forme de photo-carte de visite !

Pendant la Grande Guerre, la diffusion de clichés des conflits est strictement encadrée. Seuls les opérateurs des services photographiques de l’armée peuvent normalement réaliser des prises de vue. Or, la presse illustrée en plein essor réclame des images, qu’elle n’obtient bien souvent qu’auprès de ces amateurs.
De nombreux soldats, tels Raoul Martin, avaient glissé un appareil photo dans leur barda, attentifs à fixer une histoire en marche ou tout simplement pour témoigner.

Fils d’Auguste Gustave Martin créateur d’une filature hydraulique de cretonnes à Riorges vers 1860, puis directeur de l’usine de tissage de cotonnades Déchelette, au Coteau, en 1870, Raoul Auguste naît à Roanne le 23 août 1886. Il fait ses études au lycée de Roanne puis à Saint-Etienne. Il est flûtiste à la Société Philharmonique de Roanne avant d’en devenir le trésorier puis le président vers 1929.
Portrait de Raoul Martin en poilu

Il est mobilisé dès le début de la guerre : il a 28 ans et servira comme infirmier au 298ème Régiment d’Infanterie.
Souvenirs de Soissons, 20 mars 1915

Le 298ème R.I. est formé de 2 bataillons du 98ème R.I. stationnés à Roanne. Il fait partie de la 63ème division de réserve, rattachée au 7ème Corps d’Armée. Le 11 août 1914, Raoul Martin quitte Roanne pour les fronts d’Alsace, puis de la Marne (septembre). Parmi ses campagnes : Les Eparges (Meuse, septembre 1914-avril 1915), Verdun (février-octobre1916) et le Fort de Vaux (juin 1916), La Chapelotte (Vosges 1917 : gaz de combat, lance-flammes, électrification des barbelés), puis les batailles de la Somme, Argonne (septembre-novembre 1917), Soissons (avril 1918). A la fin de la guerre, le 298ème a perdu 1200 hommes sur 2000.
Cimetière dans la forêt de La ChapelotteSoldatsGuetteurDans l'abriRuines

Le reportage de ses campagnes est riche de 300 plaques de verre en négatif, vues stéréoscopiques de petit format (4, 5 x 10, 5 cm) réparties dans 28 boîtes d’origine. Chaque vue est soigneusement conservée dans son papier cristal sur lequel sont minutieusement inscrits à l’encre, de sa main, un certain nombre d’indications sur leurs conditions de prise de vue (le lieu, la date de la prise de vue, des indications techniques comme l’état du ciel, le temps de pose …). Ces précisions les rendent plus précieuses encore, et outre leur indéniable intérêt documentaire, elles créent un lien d’intimité avec le photographe nous faisant partager sa douloureuse expérience. On relève ainsi par exemple : « La Chapelotte – Un des postes d’écoute établi à 30 m. des Boches où le jour seulement deux hommes accroupis assument la garde de toute la ligne – 6 Juin [1917] – 13 h. - Ciel A – F : 20 – Pose : 1/10’’ ».
Verdun, côte du poivre, camp NicolasSous la neigeLacroix-sur-MeuseRuines

Raoul Martin est cité à l’ordre de la Division en Juin 1916 et à l’ordre du Régiment en 1918 pour sa bravoure : « Infirmier d’un dévouement à toute épreuve, a prodigué ses soins à ses camarades intoxiqués par les gaz, jusqu’à ce qu’il fut devenu lui-même complètement aveugle par œdème des paupières ». Cette cécité est heureusement passagère.
Maison bombardée : l'infirmerie

De retour à Roanne, il devient représentant en produits chimiques pour l’agriculture avant de diriger une agence de la compagnie d’assurance, L’Union, au 59 de la rue Jean-Jaurès.
Il décèdera à Roanne le 14 février 1933.