Une objectivité mesurée

Certains articles traitent de nouvelles concernant la place de femmes dans la société en énonçant simplement les faits, leur objectif étant d'informer avant d'émettre un avis. Par exemple, le 8 juin 1938, la ministre du Travail américaine, madame Perkins, est de passage à Paris. Le Petit Dauphinois raconte :

"Mrs. Frances Perkins est âgée de 56 ans. Bien que mariée depuis de nombreuses années, elle a toujours conservé dans la vie publique son nom de jeune fille. Elle s’est occupée de politique dès 1910. Elle a fait parler d’elle, notamment au cours des meetings organisés en faveur du féminisme et de l’hygiène. C’est la première femme, et la seule d’ailleurs qui ait dirigé aux États-Unis un département politique."

Le 18 juin 1906, Le Stéphanois, journal conservateur et catholique, relate un événement symbolique du mouvement des suffragettes en Angleterre :

"Hier matin, M. Asquith, ministre des finances, devait haranguer une grande assemblée dans la Bourse du blé à Northampton. À peine s’était-il levé de son siège et ouvrait-il la bouche, qu’une dame se dressait d’un rang du balcon et déployait une bannière, lançait d’une voix suraiguë le cri de : « Le vote pour les femmes », au milieu des applaudissements et des « A la porte ! » M. Asquith dut reprendre son siège.
Pendant que le marquis de de Northampton s’avançait pou lancer à l’interruptrice l’avertissement nécessaire, cette dernière fut entourée d’auxiliaires armées de la même bannière et clamant la même revendication."
 
Cet article raconte un épisode intéressant et le groupe de suffragettes auquel il fait référence est la WSPU (Union sociale et politique des femmes) crée en 1903 et dissoute en 1917.

Un article de la revue Genre et Histoire (nouvel onglet) explique que les suffragettes, n'obtenant pas de réponses à leurs réclamations, ne voyaient pas d'autres moyens que d'interrompre de la sorte des réunions publiques afin d'obtenir gain de cause.
 

Le prisme de la presse

Tout en informant le lecteur, d’autres articles émettent une opinion sur la question du féminisme. Par exemple, dans "Le vrai féminisme", extrait du Petit Dauphinois datant du 17 décembre 1943, le journaliste Jean Der exprime son admiration pour madame Sabathier qui dirigeait un des plus grands hôpitaux de Paris et qui incarnerait, selon lui, le féminisme idéal.

"Mme Sabathier est moins connue que n’importe quelle « starlett » subitement portée aux nues par le cinéma. Sauf à l’heure laborieuse du courrier, Madame la Directrice ignore la ruée des solliciteurs d’autographes. Sa seule récompense, elle la trouve – quand cela est possible – dans l’effacement et l’intimité de son foyer.
Une femme qui ne doit rien qu’à ses mérites. Les hommes ne sont donc pas si égoïstes puisqu’ils ont daigné les reconnaître. À nos yeux cette victoire du féminisme a beaucoup plus de sens et de portée que si Mme Sabathier était devenue députée, ambassadrice ou ministre."

Lire l’article intégral "Le vrai féminisme" (nouvel onglet).

Peu importe le regard que l’on porte sur la question, on sera peut-être surpris de l’intérêt de ces hommes vis-à-vis de la question des droits des femmes. En effet, nous avons souvent l’image que tout était pire avant et que rien de positif ne pouvait ressortir des archives de journaux des siècles derniers concernant les mouvements féministes, .

Dans ces contre exemples, on trouve un article du Carillon, dont on aurait presque pu croire qu’il a été écrit de nos jours, bien qu’il date d’il y a plus de cent ans (15 mars 1913).
"Une guerre des sexes, et sur tous les terrains, voilà en effet l’aspect que revêt, au regard superficiel, ce grand mouvement d’émancipation qui semble opposer une moitié de l’humanité à l’autre et qui la mène en réalité vers des fins, ou plutôt vers des commencements d’harmonie. Quel étrange malentendu, quelle méprise initiale ont ainsi détourné de leur vrai sens le mot et la chose, ont jeté sur le féminisme ce jour trouble et cette lumière hostile.

Crainte inavouée chez beaucoup d’hommes de voir anéantir leur antique suprématie ? Méfiance et dédain instinctifs vis-à-vis de celle qui depuis toujours, bien plutôt que la sûre compagne, fut à leurs côtés, même maîtresse, l’esclave ? Et chez trop de femmes, peur de la subtile liberté ? Ce vertige éblouissant qui fait à la sortie des geôles chanceler le prisonnier, habitué à l’ombre ?


 

La voix des femmes

Et les femmes dans tout cela ? Quelle est leur place dans l'univers de la presse ? Le destin de la suffragette, membre de la WSPU Teresa Billington-Greig illustre les difficultés rencontrées par les femmes dans le monde du journalisme. En effet, dans le résumé de sa biographie, signée Myriam Boussahba-Bravard (nouvel onglet), on peut lire "Elle ne réussit pas à investir le métier de journaliste, nouvellement ouvert aux femmes, qui ne fait pas de place aux articles féministes cantonnant encore les femmes journalistes aux rubriques dites féminines."

Pourtant, en France, un quotidien féminin et féministe du nom de La Fronde voit le jour en 1897, fondé par Marguerite Durand, une ex-comédienne qui deviendra par cet exploit la première patronne de presse française. Un certain nombre d’archives de ce journal sont disponibles sur le portail de Gallica (nouvel onglet).  Il semble que malgré l’existence de cet espace de libre expression, pendant les décennies qui suivent, la majeure partie des auteurs et patrons de journaux demeure des hommes.
Le journal La Fronde par Marguerite Durand © Les Yeux du Monde
Le journal La Fronde par Marguerite Durand © Les Yeux du Monde
Cette tendance est assez générale pour que l'on remarque, lorsqu'une femme parvient à publier, ce qu'elle a écrit. Une certaine Suzanne Monin nous livre par exemple une partie de ses "Pages de carnet du temps de guerre", dans Le Salut Public du 3 décembre 1939. On remarque qu'une partie de son réquisitoire a été effacée. Censure du journal ? Mesure du gouvernement qui appelle à l'union en temps de guerre ? Quoi qu'il en soit, face aux injonctions que l'écrivain et diplomate M. Jean Giraudoux adresse aux femmes françaises, les appelant à préparer le foyer et le pays pour accueillir les hommes à leur retour du front, elle répond :
"Le ménage ! Nul mieux que nous ne peut savoir comment, même dans la plus simple maison, c’est bien autre chose que ce raccommodage de chaussettes et cette familiarité du torchon à quoi nous renvoient sans variante ni fantaisie les adversaires du « féminisme ».

 Mais justement, même lorsqu’il s’agit de la maison, nous ne pouvons pas nous en mêler comme il conviendrait. Car la maison, même bien close, est toute pénétrée de la cité. Pouvons-nous, exclues des affaires municipales, nous occuper de cette rue où ouvre notre porte, de l’air conditionné par un urbanisme plus soucieux de l’industrie masculine que des soins familiaux, d’un ravitaillement réglé par des décrets-lois dans l’élaboration d’ [passage censuré]

Et quand nous écoutons l’échec que la réalité renvoie des appels de M. Giraudoux, comme le son en est rétréci, étouffé ! Ne sait-il pas que nous sommes mineures, frappées d’incapacité, et que si l’on veut que notre travail s’épanouisse dans la force et dans la grandeur, il faut d’abord et tout de suite, faire de nous les égales civiques des hommes ?"

Lire l’article intégral "Pages de carnet du temps de guerre" (nouvel onglet).

Et pour terminer, un petit bonus sur un ton plus humoristique :

Le Petit Dauphinois, 8 juillet 1930.<br>
Le Petit Dauphinois, 8 juillet 1930.